Par Todd A. Horton, de la Faculté d'éducation Schulich de l'Université Nippissing à North Bay.
Monographie de recherche n° 67
Avril 2017
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L’usage efficace de la pensée critique ne repose pas seulement sur l’acte de réfléchir, mais aussi sur l’objet de la réflexion. Comment la pensée critique peut-elle aider les élèves à travailler dans les différentes matières du curriculum et à en assimiler les enseignements?
Conseils pour promouvoir la pensée critique
Les enfants que j’ai eus dans ma classe ont toujours manifesté un réel intérêt et une curiosité naturelle envers la littératie et semblaient parfaitement conscients de son importance. Les enfants reconnaissent que la littératie c’est avant tout la communication et que celle-ci prend bien des formes. En tant qu’adulte, il est parfois facile d’oublier que la littératie est un concept nouveau pour les enfants. Il faut leur laisser la possibilité d’inventer leur propre littératie et de décoder ses mécanismes1,2,3. Les enfants apprennent à parler tout seuls, et pourtant, quand vient le temps de la lecture, de l’écriture et des mathématiques, l’idée s’est étrangement imposée que leur apprentissage requière un enseignement explicite et l’imposition de règles. À la maternelle comme au jardin d’enfants, cette façon de faire risque de limiter les occasions données aux enfants de communiquer, de comprendre le monde qui les entoure et d’apprendre à lire, à écrire et à traiter l’information pour leurs propres besoins2,3. Comme le rappelle la vignette un peu plus haut, pour les enfants, loin de se limiter à la lecture et à l’écriture, la littératie englobe tout moyen utilisé pour communiquer et pour comprendre le monde.
Le curriculum de l’Ontario 11e et 12e année : Études canadiennes et mondiales, Révisé publié par le ministère de l’Éducation de l’Ontario en 2015 vise à doter chaque élève des moyens nécessaires pour « devenir une citoyenne ou un citoyen réfléchi, averti »1 (p. 10). Ce document aborde la pensée critique tant dans le cadre élargi de l’éducation civique qu’en rapport avec la réflexion disciplinaire. Ce programme-cadre est un audacieux pas en avant à une époque où la société se heurte à des défis croissants et où le choix des bonnes réponses aux enjeux sociaux, politiques, économiques et écologiques majeurs nécessite l’apport de nos meilleurs cerveaux.
La notion de pensée critique n’a rien de nouveau dans le domaine de l’éducation, au contraire : nous en parlons depuis plusieurs décennies et c’est bien de là que vient le risque que nous n’y attachions plus d’importance.
Le contenu accru des derniers programmes-cadres en date pourrait bien, par mégarde, donner l’impression aux enseignantes et enseignants qu’ils ont désormais bien plus de savoir à transmettre et qu’il ne leur reste guère d’autre choix que de laisser tomber les leçons portant sur la pensée critique. Telle n’était pas du tout l’intention. L’heure est en fait venue de renouveler notre engagement à former la pensée critique de nos élèves et, ce faisant, de nous montrer fidèles à l’ambitieuse vision qu’établissent les attentes du curriculum.
Le principe fondamental de la pensée critique est centenaire, ses débuts remontant à Socrate et à sa méthode de questionnement qui nous invite à justifier tout ce que nous affirmons tenir pour vrai. Au début du 20e siècle, le philosophe et pédagogue réformateur John Dewey s’est fait le défenseur d’un curriculum fondé sur une théorie de l’enquête, donc sur la pensée critique, voyant là un moyen de favoriser le développement de l’individualité, la réalisation de soi à travers la démocratie et l’action collective des citoyennes et citoyens2. En 1940, Edward M. Glaser énonçait les trois principaux éléments de la pensée critique3 : 1) une disposition à examiner attentivement les questions et problèmes qui se posent dans la vie courante; 2) la familiarité avec les méthodes d’enquête et de raisonnement logique et 3) la capacité d’appliquer ces méthodes.
De nos jours, la pensée critique est perçue comme étant une attitude qui consiste à réfléchir face à des situations problématiques, afin de savoir quoi en penser ou comment y réagir (ce qui constitue l’esprit critique), et ce, en appliquant sa capacité de jugement pour arriver à des conclusions réfléchies4 (p. 249) dans des situations où celles-ci ne sont aucunement prédéterminées; ces conclusions sont évaluées à la lumière de critères préétablis, tels que la clarté, la cohérence, la vraisemblance, etc.
Bien qu’il n’y ait pas une seule et unique façon d’amener les élèves à utiliser leur pensée critique, la recherche porte à croire que les discussions en salle de classe, la rédaction et de bonnes techniques de questionnement y sont indispensables5. Par ailleurs, le curriculum prescrit doit prévoir des défis faisant appel à la pensée critique ou d’autres occasions de développer celle-ci. L’usage efficace de la pensée critique ne repose pas seulement sur l’acte de réfléchir, mais aussi sur l’objet de la réflexion; en l’occurrence, cet objet fera partie du contenu du curriculum et les élèves devront puiser dans tout un éventail d’aptitudes pour répondre à des questions ou exécuter des tâches majeures. Cet éventail inclura, par exemple, la compréhension et l’emploi efficace des concepts, de la voix et du ton appropriés pour la formulation d’arguments cohérents et convaincants.
Quantité de recherches fondées sur des données probantes ont examiné l’efficacité de la pensée critique dans différentes disciplines. Elles attribuent à cette pensée une meilleure conscience et compréhension du monde, de même que la contribution au développement de citoyennes et citoyens attentifs et informés. La participation des élèves à des activités de pensée critique s’est avérée avantageuse pour l’apprentissage dans les domaines des études sociales; de la géographie – où cette pensée leur a permis de faire des rapprochements entre les concepts liés aux systèmes terrestres6; de l’histoire – où les élèves, censés remettre en cause leurs idées reçues, ont ainsi pu analyser des documents historiques et autres écrits; et enfin, de la littérature, où les élèves ont participé à des groupes de discussion sur la justice sociale8.
Les personnes qui enseignent le curriculum au jour le jour peuvent favoriser la pensée critique de plusieurs façons, et notamment11 :
Les outils conceptuels que les programmes-cadres révisés d’études sociales et d’histoire proposent aux élèves peuvent faciliter la planification de leçons importantes et réfléchies à l’échelle du curriculum :
Réfléchir à l’histoire suppose la prise en compte de l’importance historique des événements, de leur contexte, des rapports de cause à effet ou encore des notions de continuité et de changement. Les paragraphes ci-après donnent quelques exemples d’activités liées à l’enseignement des études sociales et de l’histoire proposées à des élèves aux paliers élémentaire ou secondaire et adaptées à leur niveau, activités qui les mettent au défi d’exercer leur pensée critique. Ces défis supposent que l’enseignante ou l’enseignant aura au préalable pris soin d’organiser et d’expliquer le contenu du programme-cadre pertinent de façon détaillée en salle de classe, afin de permettre aux élèves de l’exploiter au mieux. Ils soulignent la nécessité pour les enseignantes et enseignants, d’une part, d’offrir à leurs élèves des opportunités de développer la pensée critique et, d’autre part, d’incorporer celles-ci à l’enseignement des différentes matières du curriculum à l’aide des outils conceptuels prévus à cet effet. Vous remarquerez que dans chacun des exemples ci-après, les élèves doivent puiser dans leurs acquis, faire preuve d’esprit critique et trouver des réponses réfléchies à des questions ouvertes.
Dans une classe de 1re année, discutez des caractéristiques des collectivités, aussi bien naturelles qu’issues de l’activité humaine; explorez les services que les collectivités fournissent pour répondre aux besoins des personnes qui résident ou qui travaillent sur leur territoire.
Dans une classe de 12e année, invitez les élèves à réfléchir à la manière dont nous concilions des droits concurrents au Canada.
Dans une classe de 7e année, utilisez un processus d’enquête historique pour analyser les points de vue de différents groupes au sujet d’un événement majeur.
L’idée des défis de pensée critique reprise ci-dessus a été mise au point par Case et Daniels11,qui ont par ailleurs contribué à l’élaboration du site Web de TC2, un consortium de pensée critique. TC2 propose une vaste gamme de ressources au personnel enseignant, y compris des données de base sur des concepts, des plans de leçons détaillés et des possibilités de perfectionnement professionnel, au même titre que Le Projet de la pensée historique. D’autres ressources intéressantes sont le Musée canadien de l’histoire et les Archives publiques de l’Ontario.
L’un des buts que vise le ministère de l’Éducation de l’Ontario est de donner aux élèves les moyens de devenir des citoyens informés et réfléchis. Le problème pour les enseignantes et enseignants est de savoir comment former la pensée critique des élèves tout au long de l’enseignement et l’apprentissage du curriculum et à l’aide de celui-ci. Nous savons comment poser des défis de pensée critique et nous avons les outils pour le faire. À nous de nous montrer à la hauteur. Renouvelons notre engagement à enseigner d’une manière qui favorise la pensée critique. Armés des tout nouveaux programmes-cadres d’études sociales et d’histoire, l’heure est venue d’agir (ou de redoubler d’efforts)!
La série de monographies Faire la différence… De la recherche à la pratique est produite en collaboration par l’Ontario Association of Deans of Education et la Division du rendement des élèves du ministère de l’Éducation de l’Ontario.
Pour en savoir plus sur la façon de rédiger une monographie, visitez : Mobiliser les résultats de la recherche pour les appliquer de façon significative, par Michelann Parr, Ph. D., et Terry Campbell, Ph. D., co-rédactrices.
La série Faire la différence est mise à jour et publiée ici.
Les opinions et les conclusions exprimées dans ces monographies sont celles des auteurs; elles ne reflètent pas nécessairement les politiques, les opinions et les orientations du ministère de l’Éducation de l’Ontario ou de la Division du rendement des élèves.
ISSN 1913-1097 Faire la différence… De la recherche à la pratique (imprimé)
ISSN 1913-1100 Faire la différence… De la recherche à la pratique (en ligne)